~ OFFICE DU 05 MARS 2020 ~
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Le pays des autres
En 1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, s'éprend d'Amine Belhaj, un
Marocain combattant dans l'armée française. Après la Libération, elle
quitte son pays pour suivre au Maroc celui qui va devenir son mari. Le
couple s'installe à Meknès, ville de garnison et de colons, où le
système de ségrégation coloniale s'applique avec rigueur. Amine récupère
ses terres, rocailleuses ingrates et commence alors une période très
dure pour la famille. Mathilde accouche de deux enfants : Aïcha et
Sélim. Au prix de nombreux sacrifices et vexations, Amine parvient à
organiser son domaine, en s'alliant avec un médecin hongrois, Dragan
Palosi, qui va devenir un ami très proche.Mathilde se sent étouffée par
le climat rigoriste du Maroc, par sa solitude à la ferme,
par la méfiance qu'elle inspire en tant qu'étrangère et par le manque
d'argent. Les relations entre les colons et les indigènes sont très
tendues, et Amine se trouve pris entre deux feux : marié à une
Française, propriétaire terrien employant des ouvriers marocains, il est
assimilé aux colons par les autochtones, et méprisé et humilié par les
Français parce qu'il est marocain. Il est fier de sa femme, de son
courage, de sa beauté particulière, de son fort tempérament, mais il en a
honte aussi car elle ne fait pas preuve de la modestie ni de la
soumission convenables. Aïcha grandit dans ce climat de violence,
suivant l'éducation que lui prodiguent les Soeurs à Meknès, où elle
fréquente des fillettes françaises issues de familles riches qui
l'humilient. Selma, la soeur d'Amine, nourrit des rêves de liberté sans
cesse brimés par les hommes qui l'entourent. Alors qu'Amine commence à
récolter les fruits de son travail harassant, des émeutes éclatent, les
plantations sont incendiées : le roman se clôt sur des scènes de
violence inaugurant l'accès du pays à l'indépendance en 1956.Inspiré par
l'histoire de la grand-mère de Leïla Slimani, le récit est à la fois
dense et haletant. Les nombreux personnages sont peints avec une finesse
remarquable. Tous vivent dans « le pays des autres » : les colons comme
les indigènes, les soldats comme les paysans ou les exilés. Les femmes
vivent dans le pays des hommes et doivent sans cesse lutter pour leur
émancipation. Tous sont déchirés entre des traditions immuables et le
désir de modernité. L'accession du Maroc à l'indépendance est vue à
travers ces destins attachants. La réalité ambiguë de la colonisation
est parfaitement disséquée, comme celle de la condition féminine, sans
manichéisme. Après deux romans au style clinique et acéré, Leïla Slimani
se révèle une romancière de grande amplitude, capable de faire vivre
une époque et ses acteurs avec humanité, justesse, et un sens très
subtil de la narration.
Un roman magnifique.